FINANCEL’Autorité des marchés financiers peaufine son projet de Bourse électronique gérée par le secteur privé et dont la création est prévue pour le premier semestre.
Philippe HAGE BOUTROS | OLJ
Créée en 1957, la Bourse de Beyrouth (BSE) fait partie de ces institutions libanaises qui ne se sont toujours pas remises de la guerre civile. Avec une dizaine d’entreprises inscrites en 25 ans – la dernière cotation a eu lieu en 1998 –, une capitalisation bloquée aux environ de 11 milliards de dollars – l’une des plus petites du Moyen-Orient – et une présidence vacante depuis le départ de Fadi Khalaf, l’institution peine à séduire les investisseurs. « Plombée par son fonctionnement, la BSE ne participe tout simplement pas au financement de l’économie libanaise », résume Nassib Ghobril, directeur du département de recherche du groupe Byblos Bank.
C’est pour remédier à cette situation que le législateur a institué à travers la loi 161 du 17 août 2011 l’Autorité des marchés de capitaux (AMC), un organisme chargé de réguler les marchés financiers au Liban et d’appuyer leur développement. Le texte chargeait notamment l’autorité de piloter la privatisation de la BSE – via sa transformation en société anonyme – afin de normaliser son mode de fonctionnement. « Quatre ans et demi après que la loi a été votée, la situation est au point mort et nous attendons toujours que le Conseil des ministres avalise l’opération, conformément à la loi », explique à L’Orient-Le Jour Firas Seifeddine, membre de l’AMC depuis sa création. En août dernier, le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, avait tenté de réactiver le processus en appelant le gouvernement à relancer le dossier, en vain.
Le blocage de cette transformation « pour des raisons essentiellement politiques » a poussé l’AMC à entreprendre de créer une nouvelle plateforme d’échange gérée par le secteur privé. Cette nouvelle Bourse doit en principe coexister avec la BSE jusqu’à ce que cette dernière soit privatisée avant que les deux entités, le cas échéant, ne finissent par fusionner. « Désignée sous le nom de Bourse électronique, cette nouvelle plateforme sera complètement indépendante de la Bourse de Beyrouth sur le plan juridique mais restera sous le contrôle de l’AMC », précise M. Seifeddine. Évoqué par plusieurs responsables de l’AMC et de la Banque du Liban (BDL) en 2015, le projet a désormais « dépassé le stade de l’ébauche », confirme M. Seifeddine. « Le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, a annoncé en décembre que cette nouvelle plateforme boursière sera mise en service au premier semestre, mais il est possible qu’elle soit lancée d’ici à avril », estime de son côté l’expert en marché boursier Jihad Hokayem.
(Lire aussi : Les entreprises libanaises en mal de gouvernance)
Pas de double cotation
Si de nombreux détails relatifs à son fonctionnement sont encore inconnus, l’objectif et les contours de cette nouvelle plateforme ont commencé à filtrer ces dernières semaines. « Derrière le lancement de cette seconde Bourse, l’AMC et la BDL veulent permettre aux petites et moyennes entreprises (PME) ainsi qu’aux start-up de se financer plus facilement en ouvrant leur capital au grand public », explique M. Hokayem. « Les conditions d’inscription vont être adaptées aux catégories d’entreprise que cette nouvelle plateforme cherche à attirer et excluront de facto toutes les entreprises listées à la BSE pour éviter toute possibilité de double cotation », poursuit-il.
« Cette nouvelle place financière doit également servir de plateforme d’échange pour les produits financiers dérivés, les devises, les obligations du Trésor ou encore les matières premières, poursuit M. Hokayem. Son fonctionnement et sa gestion doivent être confiés à une société privée par le biais d’une offre publique d’achat – dont les modalités et le calendrier sont actuellement en chantier –, ce qui doit lui permettre d’éviter de subir le même sort que la BSE », souligne-t-il enfin. « La gestion de cette seconde Bourse doit rester entre les mains du privé pour espérer rester opérationnelle », confirme M. Ghobril, avant d’ajouter qu’il faudra également « mettre en place des dispositifs pour convaincre les gérants de PME d’investir dans la nouvelle plateforme ».
Convaincre les acteurs d’un tissu entrepreneurial libanais composé à 90 % de PME et d’entreprises familiales : voilà sans doute le plus grand défi auquel va être confronté le projet de l’AMC au moment de lancer la nouvelle Bourse. Le propriétaire d’une PME dans le domaine de la distribution explique à L’Orient-Le Jour, sous le couvert de l’anonymat, pourquoi cette nouvelle plateforme ne pourra pas répondre à ses besoins : « Les entreprises qui cherchent à se financer sur les marchés sont généralement investies dans la recherche et le développement. Une PME dans le secteur productif au Liban ne dégage généralement pas une marge suffisante pour pouvoir risquer ses réserves sur une place financière ou à ouvrir son capital à des actionnaires à qui elle devrait verser des dividendes à la fin de l’année », explique-t-il. Une analyse qui confronte le projet de Bourse électronique à la réalité de l’activité économique libanaise sans cesse secouée par l’incertitude politico-sécuritaire. « Pourquoi risquer son argent quand l’épargne au Liban peut rapporter jusqu’à 8 % d’intérêts ? » conclut la source précitée.